Session d'entrainement spéciale en Sicile
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Session d'entrainement spéciale en Sicile
Himmel ! 9 heures du matin et je commence déjà à transpirer !
Allongé sur mon lit, bien calé sur mon oreiller contre le mur du dortoir, je me refait une petite lecture studieuse de mon manuel de tir, ignorant autant que possible le bourdonnement de trois grosses mouches piégés à l'intérieur qui me tournent autour avec insistance. Non pas que je ne le connaisse déjà pas par cœur ou presque ce manuel, mais juste pour me repasser une fois de plus les textes et les schémas en mémoire, toujours à la recherche du petit détail oublié, du conseil de pro noyé dans la masse de texte insipide, de la chimère invisible qui transforme un pilote du rang en un authentique as de la chasse aérienne. Dehors le soleil brille, pas de nuage à l'horizon dans le ciel matinal d'un bleu éclatant , et je devine que la mer toute proche arbore aussi des couleurs qu'elle n'a rien à lui envier.
Paradisiaque ? loin de là ! Du moins pas pour moi. Malgré la fraîcheur relative qui règne dans le bâtiment, la température grimpe inexorablement avec la course du soleil et un mouvement pour me redresser me fait réaliser que j'ai déjà la chemise qui me colle dans le bas du dos. Ici après l'heure du déjeuner la chaleur devient franchement assommante, il y a deux semaine un de nos mécanos est même parti à l'infirmerie après avoir passé un heure et demie en plein cagnard à réparer une fuite d'eau sur un de nos moteurs. Les autochtones ont la sage habitude d'en profiter pour faire une petite sieste dans un coin d'ombre, mais nous on a des ordres et la corvée de patates qui pend au nez des tires-au-flanc. Parfois le soir, un orage venu de nulle part éclate au dessus de la base, mais ne fais généralement rien de plus que de brasser de l'air chaud pour le charger en humidité, alourdissant l'atmosphère d'une moiteur quasi-tropicale pour le reste de la soirée. Pour sûr le climat de notre chez-nous temporaire n'a rien à voir avec celui des côtes de la Baltique.
Temporaire parce qu'on a été muté ici il n'y a pas très longtemps, moi et quelques autres élèves pilotes de l'escadrille, seulement pour un temps limité. Notre chef instructeur attitré ayant été mystérieusement dépêché quelque part faire quelque choses pour un certain temps, plutôt que de nous laisser bailler aux corneilles, nos supérieurs ont décidé de nous envoyer en Sicile pour quelque mois, officiellement pour voir du pays et voler dans d'autres conditions. Tant qu'à faire avec des escadrilles étrangères. Je n'ai rien contre l'Italie, ni d'ailleurs contre les Italiens d'une manière générale mais je ne parle pas un traître mot de leur langue et de ce que j'en ai vu pour le moment, la réciproque est toute aussi vraie. Moins facile de tisser des relations amicales dans ces conditions, encore que la grappa locale et les quelques bouteilles de schnaps glissées en douce de le Junkers 52 de liaison apportent une certaine aide point de vue fraternité ! Heureusement pour nous dans la vie de tous les jours, le lieutenant nommé responsable de notre formation parle suffisamment italien pour nos besoins quotidiens. Ça nous permet entre autres choses de ne pas avoir à se faire des nœuds au cerveau à la radio, on a déjà assez à faire à faire avec le pilotage, le vol en formation et les exercices tactiques en tout genre.
On a beau avoir intégré les forces armées sur le tard, on n'est pas à la ramasse non plus. Ces exercices inter-nations et cette balade de santé dans le sud de l'Europe, personne ici n'y a cru plus de cinq secondes. Malgré le soin déployé par l’état major pour étouffer les mauvaises nouvelles émanant de l'Afrique du Nord l'automne dernier et minimiser leur portée réelle sur le plan stratégique, on sait tous que les Alliés ont maintenant un solide pied à terre de l'autre coté de la Méditerranée et qu'il ne comptent pas spécialement y installer des centres balnéaires ! Envoyer des recrues se refaire une santé dans une région qui pourrait bien devenir une zone de guerre dans les prochains mois, c'est juste trop gros à avaler, et l'occupation des îles de Pantelleria et Lampedusa le mois dernier a terminé d'asseoir nos supposition. Cela dit, on ne s'en est pas plaint non plus. La perspective de voir de l'action de près nous a tous motivés à faire nos paquetages. Chacun s'est imaginé la possibilité de pouvoir participer à de réelles patrouilles ou même à une escorte d'un raid contre un convoi de ravitaillement, mettre enfin un pied à l'étriller et pourquoi pas peindre notre première victoire sous la verrière de notre Bf109 ? C'est avec ces belles images dans la tête que nous avons embarqué à bord d'un vénérable trimoteur, pour un aller simple vers le bassin méditerranéen.
Je referme mon manuel, je crois que ça ne sera pas encore aujourd'hui que je décrypterais la science des anciens. Je me lève, m'étire et prend la direction de la sortie du bâtiment. Je ne sais pas pourquoi mais je ressens comme une lourdeur au fond du ventre, rien d'alarmant mais si j'ai mangé quelque chose de pas frais, autant prendre mes dispositions avant de se retrouver coincé dans le cockpit de mon chasseur. Je me refais le menu d'hier, rien qui ne me semble louche et en plus on a rien bu depuis la semaine dernière. Autre chose alors ? Peut être le fait qu'on ait pas croisé le lieutenant depuis quatre jours ? Tiens bizarre ça. Et pas d'exercice de programmé non plus au passage. Des périodes de trous dans le planning on en a eu par le passé mais plus j'y pense, plus j'ai le sentiment que quelque chose se trame. Et puis c'est quoi cette question stupide l'autre soir ?
"Dites moi Gefreiter.
- Herr Oberst ?
- Vous avez déjà fait quelques heures sur Messerschmitt 110 dans votre formation n'est-ce pas ?
- Le minimum réglementaire Herr Oberst
- Merci Gefreiter."
C'est tout, rien de plus, pas d'introduction, une embuscade verbale au détour d'un couloir sans plus de précision. Avec le colonel qui disparaît dans un bureau en claquant la porte en guise de conclusion. Une vraie pièce de théâtre avortée que j'ai vite mise à l'écart dans ma mémoire tant le contenu en était absurde.
Arrivé devant la porte du dortoir, j'enfile mes bottes fraîchement cirées, je prends une dernière bouffée d'air frais et me prépare à affronter la chaleur qui monte rapidement à l'extérieur, à dix heure du matin ça commence à cogner par ici. Une fois sorti, je jette un coup d’œil alentours. L'activité habituelle d'une base de réserve poursuit ici son cours habituel, les mécanos s'affairent autour des avions, une voiture de patrouille sillonne les abords du périmètre pour vérifier l'intégrité du grillage, les halftracks pointent leurs canons de 20 vers le ciel....
Les Halftracks ?
Himmel ! Quart de tour droite et direction la salle d'opérations, je dois savoir au plus vite qu'est ce que c'est que ce remue ménage ! Un exercice surprise j'espère ? Deux Fiat et une Volkswagen garées devant le bâtiment tactique, une paire de sentinelles en armes devant la porte, non ça ne sent pas bon du tout cette affaire ! Une fois à l'intérieur je tombe nez à nez avec le Gefreiter "Barrack", un autre élève pilote qui a intégré la FliegerSchule seulement une semaine avant moi.
"Tu tombes bien, on allait justement te chercher !
- Qu'est-ce qui se passe ici ? un exercice ?
- Si seulement ! Viens avec nous dans la salle de briefing le colonel va pas tarder à commencer.
- Le colonel ? le même qui est venu jeudi dernier ?
- Ja, enfin je crois."
Colonel, état d'alerte général, Bf110... des pièces commencent à s'imbriquer les une dans les autres mais le résultat est loin d'être plaisant. Nous pénétrons en hâte dans la salle de briefing, les autres élèves sont là ainsi que d'autres pilotes actifs, tous marinant dans l'obscurité et l'air lourd de la salle, assis face à une grande carte épinglée au mur et éclairée par deux timides ampoules jaunâtres. Une tension palpable flotte dans la pièce et tous les regards se tournent vers nous quand nous fermons la porte et nous frayons un chemin vers quelques chaises encore vides au fond. Une fois assis, l'officier commence son discours sans prendre de détours. Double nationalité oblige, un officier Italien tiendra par alternance le même discours, pour autant que je puisse en juger, dans sa langue maternelle.
"Bien, maintenant que tous le monde est là, on va pouvoir commencer. L’état major a décrété l'état d'urgence sur toute l'île, une flotte de débarquement a été repérée par un patrouilleur maritime et elle fait route droit sur la ville de Licata contact prévu dans l'après midi. Nous avons donc besoins de tous les pilotes disponibles pour contrer cette attaque au plus vite. Du point de vue logistique et tactique cette base ne répond pas aux besoins nécessaire pour le dispositif de défense, vous serez donc réassignés sur des bases plus importantes pour gonfler les effectifs locaux. Pour les élèves pilotes, vous avez été convoqués ici parce que vous êtes tous jugés aptes à faire votre première mission opérationnelle. Félicitations. Les détails des missions auxquelles vous participerez vous serons donnés par vos supérieurs respectifs déjà sur place."
Fichtre ça commence mal, un redéploiement tactique d'urgence, une flotte de débarquement complète près de nos plages, pas de détails précis sur notre rôle... Amusant de voir comme notre confiance personnelle dans nos capacités de pilotes se tassent une fois au pied du mur. On avait tous envie de partir en vraie mission d'aller chasser de vrais ennemis, d'appuyer sur la commande de tir pour de vrai, d'être enfin de vrais pilotes de chasse avec les galons et tout et tout, mais pas dans ces conditions, pas dans l'urgence comme ça et pas en face d'une opération ennemie de cette envergure. Je sens ma boule au ventre qui prend lentement mais sûrement du volume pendant que les officier désignent tour à tour les pilotes présents et leur bases d'affectation.
"Pour les quatre élèves assis dans le fond, dit-il en me fixant dans les yeux, vous serez transférés sur la base de Reggio di Calabria, où vous vous rapporterez à votre lieutenant d'instruction. Prenez l'équipement nécessaire au vol, départ dans un quart d'heure."
Voilà, c'est dit. Une autre réponse vient au passage de tomber, on connaît maintenant la position du Lieutenant et implicitement les raisons de son absence sur la base. Une fois les dernières consignes dispensées, nous sortons dans l'ordre de la salle de briefing pour aller chercher notre barda dans nos quartiers et prendre place dans les camions de transport qui nous emmènerons sur notre nouveau terrain d'opération. Le postérieur calé sur la planche de bois qui fait office d'assise dans la benne, je coince comme je peux mon paquetage entre mes jambes pendant que deux soldats Italiens grimpent à l'arrière et verrouillent la ridelle. Les moteur ne tarde pas à ronfler dans une bouffée de fumée noire et de poussière soulevée par l'échappement et le convoi prend lentement la direction de la sortie de la base. Nous croisons une autre file de camions arrivant en sens inverse, tractant de lourds canons de Flak de 88mm. Pas de doutes, cette fois c'est du sérieux.
Je n'ai rien contre l'Italie ni contre les Italiens, mais s'il y a une chose que je me permettrai quand même de critiquer, c'est leur incapacité à construire des routes dignes de ce nom. Le trajet jusqu'à Messina ne sera qu'une alternance entre pistes poussiéreuses, routes gravillonnées minées de nids de poules et chemins de campagne caillouteux. Le convoi progressant péniblement se dispersera petit à petit à mesure que chacun prend la route vers sa propre destination. Je me surprends à me demander qui aura le trajet le plus confortable de nous tous ? Les suspensions des camions dimensionnées pour des caisses de munitions couplées à l'amorti légendaire de la planche de bois nous font bénéficier d'un confort digne de la plus antique des charrettes paysannes. Mon plus grand respect va à ce moment aux hommes de la Wermacht qui passent leurs journées ballottés là dedans sur les grandes étendues du front de l'est.
Tout le monde est silencieux à l'arrière, chacun assimile les nouvelles à sa manière, et moi même je tente de faire le point malgré la lente agonie de ma fesse gauche. Premièrement malgré le fait qu'on nous envoie au charbon, le colonel a bien pris le soin de nous mentionner jusqu'au bout comme "élèves pilotes" donc la formation continue pour nous, même si visiblement ça sera sur le tas. Deuxièmement on va voir l'ennemi de près, il faut donc se préparer mentalement à en baver et peut être à y laisser des plumes. Les gens d'en face ont certainement de la bouteille et ne se laisseront pas aller à des manœuvres volontairement inadaptées pour un exercice pédagogique. Mourir ? Heureusement l'idée n'arrive même pas à prendre pied dans mon esprit tant le concept de tombé au combat reste flou. Après tout chaque rencontre ne signifie pas forcément d'appareil abattu, il y en a qui volent des dizaines d'heures sans jamais croiser personne. Et au pire, on a notre parachute non ? Troisièmement, Reggio di Calabria, plus loin que ça de la ligne de front ça va être dur. La base n'est même pas sur le sol Sicilien. On ne devrait donc basiquement pas se retrouver au plus fort de l'action, notre, nos missions seront certainement secondaires et avec un risque limité. Envoyer des novices au casse pipe dans la Luftwaffe ça coûte cher en matériel.
Arrivé au port de Messina, notre camion depuis longtemps orphelin du convoi coupe son moteur près d'un quai où est amarré le bateau de transport léger qui nous fera faire la traversée du canal vers notre point de chute. Précédés des deux soldats, nous descendons du camion avec notre barda en nous étirant douloureusement les jambes, ça au moins c'est fait. J'espère qu'ils ont prévu des coussins à bord du bateau. Un salut sincère à nos deux camarades de l'amicale des culs meurtris qui repartiront certainement avec leur vieille guimbarde, et nous voilà à bord du transport. Je salue le capitaine d'un "Guten Tag" bien de chez nous, histoire de signifier que s'il veut taper la causette, ça sera certainement pas dans sa langue natale. Lui me répond d'un Buongiorno des plus formels, je pense que le dialogue s'en tiendra à ça. Tant mieux je suis pas d'humeur à jacasser. La traversée sera d'un inintérêt de courte durée et nous serons rapidement débarqués de l'autre coté, sous le regard maussade du Lieutenant qui nous attend sur le quai à coté d'un camion militaire. Aïe, la dernière fois qu'on l'a aperçu il avait quand même l'air plus jovial que ça. Son sourire forcé ne parviendra pas à dissiper la tension du moment, il sait des choses. Encore de bonnes nouvelles en perspectives.
"Herr Oberleutnant !
- Halo les gars, j'espère que vous vous êtes bien reposé ces derniers jours. Je crois que vous avez eu droit à la mise en bouche à la base, laissez moi vous donner la suite du menu."
Et c'est reparti pour un nouveau convoyage sur planche de bois ! Heureusement la base est toute proche.
"Tout d'abord je tiens à préciser que j'ai tout fais pour que l’état major change d'avis mais les ordres sont les ordres, vous partirez tous les quatre avec moi et nous ferons route vers la flotte ennemie pour neutraliser un maximum de leurs bâtiments avant que le gros de leurs troupes ai débarqué.
- On escorte des torpilleurs ?
- Non, on pilote des torpilleurs."
Bf110, tout s'éclaire ! le colonel ! L'enfoiré ! Mais la surprise n'aurait pas été totale si le hasard n'avait pas fait que nous découvrions nos montures au moment précis ou une soudaine envie de suicider quelqu'un me traverse la tête. Dans la direction indiquée par le doigt du Lieutenant, six lourds Junkers 88 sur le tarmac, la peinture attaquée par le soleil et les embruns, entourés de camions citernes, de caisses de munitions et de mécanos en train de fixer deux grosses bombes par appareil sous le fuselage. Mein Gott, des mois de travail pour dompter nos fougueux 109, à devenir intime avec les boutons du tableau de bord, à défier la gravité lors d’entraînements aux dogfights, à appliquer les tactiques des as les plus célèbres de la Luftwaffe et même mettre les mains dans le cambouis si nécessaire, et nous voilà lamentablement relégués, pour la Grande Première en plus, à conduire... pardon, piloter ces gros camions bossus. Et droit dans la gueule du loup !
Pas trop le temps de manifester notre profond mécontentement, il y a du boulot à faire et il semblerait qu'on ai déjà pris du retard. Arrivés au pied du premier appareil, le Lieutenant prit une carte et la déplia sur une caisse de munitions vide. Jetant un œil sur le tas de ferraille qui nous servira bientôt de monture, je remarque alors trois petites hélices sur le nez des bombes.
"Décollage au plus tard dans 45 minutes, alors ne perdons pas de temps. Une fois tout le monde en l'air on se regroupera au sud de la base, formation en V, puis cap sur Catania où nous devrions retrouver un autre groupe de Torpilleurs en Heinkel 111 ainsi qu'une escorte de MC205. puis on contournera la pointe sud de l'île pour arriver plein travers sur la flotte ennemie. On largue notre colis puis retour sur Catania et enfin sur la base.
Vous avez vu notre cargaison ?
- Ja
- LT350 ou Motobomba comme ils appellent ça ici, j'ai demandé ça exprès pour vous sachant que personne n'a d'expérience en torpillage ici. En gros c'est une torpille autonome parachutée. Vous la larguez d'en haut, elle redescend sur son parachute et une fois dans l'eau elle travaille toute seule. Les He111 attaqueront au raz des flots, nous en altitude, ça divisera leur Flak autant que possible.
Pour l'équipage ce sont des novices comme vous, aussi n'en attendez pas trop d'eux. Bien je vous laisse inspecter vos machines et faire connaissance avec le tableau de bord, occupez vous simplement du pilotage, suivez moi faites ce que je dis et tout se passera bien. "
S'il le dit... Je me dirige vers un appareil au hasard, celui-là ou un autre de toute façon ça ne fera pas une grande différence. Je déballe mes affaire, enfile ma combinaison de vol et sangle mon parachute puis m'insère dans la cabine par la trappe de la gondole du mitrailleur sous le fuselage. Aurait-on pu imaginer moins pratique pour rentrer à bord ? Le poste de pilotage est une fournaise, il est 15 heures passées, la carlingue est chaude et sous la serre que représente l'imposante verrière du bazar, les instruments de bords bouillants. Je m'attendais presque à voir le liquide de notre compas magnétique entrer en ébullition. Tout ce qui peut être ouvert pour faire circuler l'air l'est déjà mais la chaleur se dissipe mal ici et je sens déjà une goutte de sueur perler sur mon front. Je salue mon équipage de fortune, nouvelle surprise : Deux d'entre eux ne parlent pas la langue ! Je nage en plein rêve. Wolfgang, le seul germain à part moi est à la place de copilote bombardier, étant de base navigateur sur Ju52. Quant aux autres, Sergio occupera la radio, tant mieux pour nous, tandis que le dénommé Giulio fera office de mitrailleur de bord dans la gondole ventrale. J'hallucine. Jamais je n'ai vu d'organisation aussi pitoyable de ma courte carrière, ça pourrait presque en être comique si nous n'étions pas à 30 minutes du décollage pour notre première vraie mission armée, au dessus d'une flotte de combat hostile.
Je m'installe sur le siège du pilote et commence à décortiquer l'organisation du tableau de bord et des commandes associés. Heureusement pour moi, les plaquettes de description vissées sous certains éléments sont toujours en allemand, ça fais ça de moins à réfléchir. Au final les commandes ne sont pas si complexes que ça pour un engin de cette taille et tout reste identifiable. Sans cette saleté de viseur reflex qu'un ingénieur beurré m'a vissé en plein milieu du champ de vision, le poste de pilotage aurait presque été agréable. 20 minutes avant décollage. Robinet de carburant ouvert circuit électrique sur marche, magnétos 1+2... Je me fais une mise en route perso, inspirée de ce qui me reste des procédures de ce satané Bf110, après quelques toussotements d'hésitation, le moteur gauche se met en route, suivi une minute plus tard de son homologue de droite. Je remarque les trois jauges vissée directement contre le capotage moteur, ainsi que les pipes d'échappement en ligne qui jurent avec la forme circulaire des radiateurs qui laissaient croire qu'il s'agissait d'un moteur en étoile. Un moteur en ligne dans un capotage rond... C'est plus que beurré qu'il était l'ingénieur... Les aiguilles de température grimpent vite, j'ouvre les capots des radiateurs et me prépare à rouler.
Sergio règle le volume de la radio et bientôt des échanges en Italien commencent à fuser dans mon casque. Heureusement qu'il est là lui au final. Puis au milieu du brouhaha général retentit enfin la voix du Lieutenant :
"Paré au roulage mesdemoiselles ? On décolle face au sud circuit par la gauche et cap de sortie au 220, suivez moi et faîtes moi le plaisir de ne pas vous perdre tout de suite."
J'entends des moteurs ronfler, et un des pesants Junkers s'ébranle, suivi d'un autre, puis d'un autre. Quand vient mon tour je pousse la manette des gaz, et le sol se met à se mouvoir sous nos pieds. Évidemment avec un poids pareil ça roule lentement, ça tourne mal et c'est à grand renfort de coup de freins, de palonnier et de gaz que je garde tant bien que mal l'axe du taxiway principal. Je surprends le regard angoissé de Wolfgang, et lui lance un "T'inquiètes pas, le roulage ça a jamais été mon truc" ou quelque chose du genre en vue de détendre l'atmosphère. N'ayant pas la répartie inspirée des anciens, mon commentaire tombera plat et ne servira qu'à nourrir les angoisses de mon copilote quant à mes capacités de pilotage pour les autres phases du vol. Et en plus il y en a deux là-derrière qui n'ont même pas saisi le sens littéral de ma phrase...
Alignés sur la piste les bombardiers s'élancent un à un sur la piste dans le vrombissement de leurs moteurs Jumo. J’aperçois dans le ciel en bout de piste l'appareil du Lieutenant qui entame le traditionnel circuit main gauche pendant que d'autres peinent encore à soustraire leurs masses à l'attraction terrestre. Dernier check : radiateurs ouverts, pas d'hélice au mini, volets au deuxième cran, instruments moteurs dans le vert, on peut y aller. Je pousse la manette des gaz à fond, les moteurs rugissent et la piste se met à défiler sous le nez vitré à une allure pataude. Gott ! qu'est-ce qu'on se traîne. Je vois le bout de piste qui se rapproche, l'aiguille du badin qui passe seulement les 130km/h... est-ce physiquement possible de charger autant de bombe que ce que les manuels disent sur cet engin sans aller labourer les champs voisins ? 170km/h, je tire doucement sur le volant et je sens les roues quitter doucement le sol.
Pas de précipitation, je rentre le train mais pas les volets de peur de retomber par terre comme une enclume. Pendant ce temps, le Lieutenant nous demande à la radio de mettre directement le cap sur Catania et de se regrouper sur le chemin, on est déjà limite au niveau timing. Virage à 10° d'inclinaison par la droite, ça a l'air de tenir en l'air, j'incline un peu plus 15°, 20°, ouf ça tient toujours ! Une fois arrivé au 220 je redresse, ne rentre qu'un cran de volet (juste au cas ou...) et entame la montée vers notre altitude cible de 3500m. J'ajuste les paramètres sur les recommandations du Lieutenant, pression d’admission, pas d'hélice, on referme un peu les volets de radiateur pour gratter quelques km/h de plus. Camion compensé, un variomètre positif, je souffle un peu. Il faut admettre qu'avoir des compensateurs sur les trois axes c'est quand même agréable. Sur nos 109, le couple moteur du Daimler-Benz finit par fatiguant pour la jambe droite à la longue. Je me risque à faire un peu de mathématiques, 3500m avec une vitesse ascensionnelle minable de 4m/s ça fait... En fait non, je ne veux pas savoir !
Le décollage un peu précipité et le manque, que dis-je, l'absence d’entraînement sur cette brouette rend la mise en formation plus délicate qu'à l'accoutumée, tous se signalent par radio et, au moins en vue de l'esprit, j'ai une idée de la situation présente mais j'ai beau me contorsionner, pas moyen d'avoir autre chose que l'appareil du Lieutenant en visuel. J'espère que les autres me voient parce que sinon...
La montée continue et je me traîne comme pas permis. J'ai souvent eu la désagréable sensation d'avoir hérité de l'appareil défectueux de l'escadrille, d'avoir les bons paramètres moteurs mais de me retrouver à la traîne. En général c'est juste une impression ou une trajectoire inadaptée en virage mais là je vois l'avion devant moi qui semble clairement s'éloigner. Je réduis un peu le pas, pousse un peu les gaz en pestant pour moi même à voix basse contre le veau dans lequel je vole. 230km/h, le variomètre qui ne bouge pas d'un Iota. Mais qu'est-ce que c'est lent. Et dire qu'il y en a qui pilotent ça toute leur carrière. Cela dit avec Wolfgang et son Ju52 assis juste à coté, je ferais peut être mieux de ne pas râler trop fort, il y a des gens qui sont susceptibles vous comprenez ? 240km/h, sur ma droite aperçoit enfin un autre Junkers, celui de Barrack qui grignote progressivement la distance qui le sépare du leader de la formation. Au moins lui il avance ! Quelle poisse... 250km/h l'avion s'enfonce soudainement et pique un peu du nez, mais le badin semble se réveiller. Les volets automatiques ! Concentré de crème d'andouille ! J'ai pas rentré les volets, la voilà l'explication ! Je peste contre moi même cette fois-ci tout en corrigeant la trajectoire. 260, 270, forcément comme ça ça grimpe mieux. Je me cale les omoplates contre le fond de mon siège et je commence enfin à me détendre. Dans quelques minutes j'aurais rattrapé le retard et la formation sera enfin établie proprement.
Quoique aride en cette saison, c'est beau la Sicile vu d'ici, profitant du calme qui règne à bord de notre bimoteur et de notre grande verrière panoramique, mon regard balaie le paysage avec un plaisir toujours aussi vif. Les magnifiques couleurs de la mer le long des côtes, la garrigue sèche et sa végétation agressive, les vallons creusées par les rivières, l'Etna qui nous domine encore du haut de ses 3300m. Et dire qu'une fois sur l'objectif, on ne sera seulement qu'à 200m au dessus de son sommet. Le ciel d'un bleu profond, vierge de toute nébulosité, s'étend au dessus de nos têtes, lui qui m'a tellement fait rêvé depuis mon enfance, maintenant j'y suis, je le sillonne librement dans le vrombissement guttural des moteurs. Puis une note plus claire s'élève dans la mélodie régulière de notre mécanique et deux chasseurs passent au dessus de la formation, des appareils Italiens avec leur longs nez et leurs redoutables canons de 20mm pointant hors de leurs ailes. Voilà notre escorte qui nous rejoint, parfait plus qu'à retrouver les Heinkels et on sera fin prêts.
Le calme de la radio fut soudainement rompu par une série d'ordres aboyés et de cris en tout genre, qu'est ce que c'est que ce bordel ? De l'Italien certes mais qu'est ce que ça dit ? Je reconnaît la voix du Lieutenant qui intervient dans le flot désordonné d'informations craché par mon casque, puis soudain un échange en Allemand dont le contenu me glace le sang. Dans la précipitation, une heure de rendez-vous erronée a été donnée à l'une ou l'autre de nos escadrilles et après avoir cerclé un moment au dessus de Catania sans rien voir venir, les autres torpilleurs on pris la direction de la flotte de débarquement, seuls et sans escorte. Au moins trois appareils abattus, et surtout, plus de bénéfice de l'effet de surprise pour nous. Tout le monde doit être sur le qui vive à bord des navires de guerre et des patrouilles aériennes sont sûrement en train de se rediriger sur la zone. On se regarde avec Wolfgang, puis il jette un œil vers Sergio et Giulio assis derrière nous... Pas besoin de plus pour comprendre qu'on a les pieds dedans jusqu'au nombril.
Sur la fréquence, le calme revient petit à petit, je croise les doigts depuis déjà une longue minute mais l'ordre d'annulation de la mission ne viendra visiblement pas. Pourtant cinq bombardiers face aux pièces anti-aériennes de plusieurs dizaines de navires de combat, l'équation n'est pas bonne. Mais apparemment ça ne dérange personne à part ceux qui sont directement concernés. Le Lieutenant nous ordonne de serrer la formation pour virer au cap 290, on s'exécute tant bien que mal, la réactivité aux sollicitations de la manette des gaz étant ce qu'elle est. Puis la formation prend la route vers l'ennemi, vers l'objectif, j'espère que la route de retour est aussi programmée là dedans.
Les minutes passent à la vitesse d'une tortue tant la tension monte à mesure que la côte sud défile à notre droite. 3500m, Avion compensé, masques à oxygène enfilés, Wolfgang et moi avons les yeux rivés sur l'horizon. Une myriade de petits points se profilent sur l'eau, à quelques miles du rivage. On y arrive. Dernière correction de cap et le Lieutenant donne les dernières consignes. "On garde bien la formation au dessus de l'objectif, larguez les torpilles à mon top et ensuite cap au nord et on colle plein pot pour se sortir de là au plus vite". La cible se rapproche en contrebas, je demande à Wolfgang d'armer les torpilles et de se tenir prêt au largage.
Une détonation sourde retentit, suivie d'un autre, puis de deux, puis de quatre. Autour de notre formation les nuages noirs des tirs de canon anti-aériens fleurissent comme les taupinières dans le jardin de mon grand père. Quelques claquement plus secs commencent à se faire entendre à mesure que les artilleurs prennent leurs marques. Il va falloir faire vite avant que la situation ne devienne intenable. Je regarde par le plancher vitré de la cabine en direction de l'ennemi, le cap est toujours bon, je distingue à la surface les éclairs des pièces d'artillerie qui crachent aussi vite que leurs servants peuvent les alimenter.
Un flash aveuglant, puis une boule de feu emplit mon champ de vision. D'instinct je ferme les yeux tandis que j'entends des centaines de débris qui crépitent contre la carlingue. Quelque part dans le nez de l'avion une vitre se brise et un courant d'air froid s'engouffre dans le poste de pilotage, faisant s'envoler ma carte calée négligemment sur mes genoux. Quand je rouvre les yeux je constate avec horreur que le Junkers du Lieutenant a disparu. Wolfgang pointe quelque chose du doigt, et je vois une moitié avant de bombardier descendre en flèche vers la mer, se retournant comme une feuille morte et laissant dans son sillage une épaisse fumée noire vomie par le réservoir central du fuselage coupé net par un tir direct. Une détonation et des impacts de shrapnels contre le fuselage et la verrière me tirent immédiatement de ma contemplation morbide. Il faut agir et vite !
Se sortir de là ? Pas tout de suite... On est arrivé jusque là, autant que ça serve. On rentrera à la nage s'il le faut. Je réfléchis à toute allure : une torpille parachutée ça tombe droit mais peut être pas complètement, il faut bien que ça avance un peu le temps que le parachute s'ouvre. Mais de combien ? On vole haut, un peu suffira. "Règle le viseur de bombardement sur 5° vers l'avant et largue quand tu verra les premiers bateaux" Ordonnais-je à mon copilote. Les secondes s’égrènent au rythme des détonations. Un nouveau claquement, de nouveaux impacts, je me crispe sur les commande en luttant contre l'envie pressante de breaker droit au nord vers notre porte de sortie. "Largué !" M'annonce-t-il enfin. Pas de temps à perdre, je pousse les gaz au maximum et entame un virage sec vers la droite. Je tire sur le manche pour prendre de l'altitude et ne pas percuter les autres avion s'ils sont encore en formation. Encore des impacts, décidément ils ne sont pas mauvais tireurs ces américains.
Une nouvelle explosion me vrille les tympans, et je vois des morceaux de verre rebondir partout autour de nous. Des cris étouffés par le rugissement des moteurs me parviennent aux oreilles. L'avion vole toujours cependant. On arrive vaguement dans la direction du nord, je redresse l'appareil et tente de jeter un coup d’œil derrière pour voir Sergio, affalé sur son siège, le col de sa combinaison rougie par le sang. Giulio s'extirpe de toute urgence de sa gondole pour aider son compatriote. Une artère du cou a probablement été entaillée car je le vois tenter de faire pression sur la blessure. Et toujours la tempête d'artillerie qui se déchaîne dehors, des éclat d'obus qui traversent le blindage et les notes déchiquetées du carnet de notre officier radio qui volent partout dans le cockpit. Si on ne se sort pas d'ici rapidement c'est bien plus que des plumes qu'on va laisser.
J’aperçois deux appareils au loin devant nous, certainement deux autres Junkers au vu de la configuration, ils ont donc viré avant nous bande de... Si on s'en sort et qu'ils ont encore leurs torpilles accrochées sous le fuselage, je leur botte le train sitôt qu'on a atterri. Petit à petit l'intensité de la défense anti-air diminue et les obus explosent de façon plus clairsemée. On va peut être s'en tirer après tout. Enfin pas tous, pas si notre opérateur radio continue de se vider de son sang. Je regarde derrière mon siège, Wolfgang tente de descendre Sergio dans la gondole pour l'allonger pendant que Giulio maintient le point de compression sur son cou. Plus besoin de navigateur-bombardier de toute façon, je peux gérer le reste tout seul maintenant.
Je jette un coup d’œil au ciel dehors, plus aucune trace de notre escorte. Ni devant ni derrière. Et plus de trace des deux bimoteurs non plus d'ailleurs ! Scheisse ! Où sont ils passés ? Je fais un point rapide de la situation. Aussi surprenant que ça puisse paraître, notre avion vole toujours. Les commandes répondent, pas de hausse de température moteur ni de baisse de pression dans les circuits. Par contre on est tout seuls et vulnérables dans le ciel. La meilleure option pour nous c'est de se mettre en descente. D'une part ça ne fera pas de mal à notre blessé de retrouver une pression atmosphérique normale, et d'autre part malgré la peinture vieillissante, le camouflage dans les tons sable sera efficace pour se planquer sur la végétation jaunie par le soleil de l'île.
Deuxième interrogation, on est où ? La question préférée des instructeurs lors des patrouilles longues, avec une difficulté bonus ici puisque ma carte s'est probablement envolée avec la moitié arrière de la verrière. Je me refait le chemin suivi jusqu'à présent, et réalise qu'il n'y a pas besoin de savoir précisément où on est, pour nous ça sera suivre l'Etna jusqu'à la côte et remonter la côte jusqu'à la base. Finalement c'est facile la navigation au dessus de la Sicile !
Une fois la descente effectuée et l'avion compensé pour tenir tout seul son palier et le cap de retour, je me risque lâcher brièvement les commandes pour aller voir rapidement notre blessé et l'état de la radio. Un truc à ne pas faire en 109 ça ! Sergio a été allongé dans la gondole et semble toujours respirer, Giulio maintient toujours sa main contre la carotide de son camarade, car il n'y a pas moyen de faire autrement ici. Mais au moins il ne semble pas alarmiste quant aux chances de survie du blessé. Il faudra que je fasse demander une trousse de premier secours pour le prochain vol. La radio elle semble toujours fonctionnelle. C'est certainement un éclat de verre qui a amoché notre camarade, car je ne voit que peu de dégâts matériels. Dehors, une traînée blanchâtre s'échappe de notre aile gauche, certainement une fuite de carburant. Me rasseyant aux commandes pour corriger une petite dérive, je jette un coup d’œil aux jauges, les réservoirs sont encore relativement pleins, ça ne posera donc pas de problème pour rentrer. Je demande à Wolfgang de s'installer à la radio.
"Pour la nav je peux gérer, essaie de voir si t'arrives à retrouver la fréquence de la base et à demander une équipe médicale au sol d'urgence
- En allemand ? C'est pas gagné !
- Essaie quand même, en insistant peut-être qu'ils auront l'intelligence d'aller chercher quelqu'un qui comprend ce qu'on dit.
- D'acc. T'as vague une idée de la fréquence ?
- Pas la moindre non ! regarde dans les feuillets qui traînent un peu partout en cabine, peut être qu'une grille des fréquences du coin s'y trouve toujours."
Je laisse mon nouvel opérateur radio à sa pêche aux petits papiers blancs et me concentre à nouveau sur le pilotage. On passe les contreforts de L'Etna, maintenant cap au nord est et normalement on tombe sur la base. Je nous maintiens en dessous des 600m d'altitude. Avec le temps les pilotes d'en face ont fini par comprendre que pour garder la supériorité sur nos appareils, il suffit de voler plus haut que nous. Et alors que de notre coté on remet indéfiniment à niveau les version vieillissantes de nos appareils, en face les bureaux d'étude travaillent d'arrache pied à des prototypes toujours plus efficaces et mieux conçus pour remplir leurs rôles. L'avantage matériel dont nous jouissions au début du conflit s'est peu à peu réduit à néant. Mais pour une fois ça va me servir grandement et peut être sauver nos fesses, car à voler plus haut et plus vite, on voit beaucoup moins ce qui se passe en bas.
La côte Italienne enfin ! Bientôt la base sera en vue et je pourrais ramener l'avion et ses occupant sur la terre ferme. Derrière mon siège, Wolfgang s'évertue à essayer de se faire comprendre du contrôle aérien, visiblement sans succès. Dernière partie du voyage, traverser la bande d'eau qui nous sépare de notre site d'atterrissage. Notre camouflage sera beaucoup moins efficace, mais tomber accidentellement sur une patrouille hostile aussi loin derrière nos lignes, ça relèverait d'un plan démoniaque visant à faire disparaître ma carcasse de la surface du globe. Il y a urgence de toute façon, donc ça se tente.
Et toujours pas de réponse claire de la radio. Je demande à Wolfgang de me passer le micro filaire du poste, et à sa grande surprise hurle dans le combiné :
"Oberleutnant kaput verstanden ? Oberleutnant kaput, Sergio kaput, Notlandung verstanden? Notlandung !"
Je fais signe au mitrailleur coincé dans sa gondole de faire de même dans sa langue, au cas où le contrôle saisisse un ou deux mots par dessus le vrombissement des moteurs, et je prépare mon approche. Bande de guignolos, si ces incapables n'ont rien pigé ils seraient bien capables de laisser des véhicules ou d'autres avions se balader sur la piste et là, bonjour la catastrophe à l'atterrissage. J'aurais aimé faire au plus court mais on va quand même faire une verticale du terrain, juste au cas où. Notre appareil aborde la cote à 400m d'altitude, et je remarque un autre avion de le circuit de piste, un autre 88. Peut être l'un des nôtres, après tout ça, après une expédition dans le monde hostile du champ de bataille, un voyage à la fois court et interminable dans une autre réalité, où je ne me suis jamais senti aussi isolé de ma vie malgré la toute proximité de mon équipage, ça serait agréable de retrouver une tête familière. Vivement un bon verre ce soir au mess... mais pour le moment j'ai encore un avion à poser.
Le terrain passe en dessous de nous, la piste semble libre. Je réduis complètement les gaz. Virage à gauche, je vais me mettre derrière l'autre Junkers. Tout a à peu près fonctionné jusque là, j'espère que ça va continuer. Avec la quantité de trous qu'on a du récolter dans la carcasse, ça serait improbable, surréaliste même de ne pas avoir une durite crevée quelque part. Mein Gott le train d'atterrissage ! Je réalise soudainement que s'il ne se verrouille pas complètement et qu'on doit se poser en ventral, je ne donne pas cher de nos deux Italiens, mais en l'état je ne sais même pas si il est possible de les sortir de la gondole sans que Sergio ne perde un nouveau litre de sang. Quand quelque chose s'engage mal, "ouvre les yeux, ferme la bouche et serre les fesses" disait un vétéran de la chasse croisé dans un bar un soir d'hiver. Je crois que je vais faire ça.
Je tire sur la commande des volets d'atterrissage pour casser un peu notre vitesse mais la commande revient à sa position initiale et les volet avec. Himmel ! ça commence mal, je réessaie une deuxième fois mais les volets refusent de se verrouiller en position. Je me disais bien que c'était trop beau, j'espère que les pneus pourront encaisser un atterrissage pleine bourre. Je regarde l'anémomètre, 265km/h, trop rapide, même pour un chasseur... et une fois de plus, je percute avec du retard : L'ingénieur bourré ! Immédiatement je cabre l'appareil, et regarde l'aiguille passer en dessous des 250km/h, je tire une nouvelle fois avec appréhension sur la commande et cette fois ça y est, les volets se mettent à sortir et je ressent l'appareil qui décélère progressivement. Maintenant le train, les deux lumières rouges s'éteignent, les secondes s'écoulent, une verte, deux vertes train sorti et verrouillé ! Je remet un peu de gaz pour tenir une vitesse d'approche correcte et lâche un grand soupir de soulagement, il doit y avoir quelqu'un qui me surveille depuis tout là haut.
Je recherche le bimoteur me précédant et l’aperçoit en courte finale, j'espère qu'il ne va pas se vautrer sur la piste parce que je ne suis pas d'humeur à refaire un circuit. J'amorce le virage pour m'aligner sur l'axe principal et ouvre les yeux, s'il ne dégage pas rapidement, je me poserai sur le taxiway et tant pis pour ceux qui sont dessus, ils se pousseront. Aligné dans l'axe, tout sorti, j'ajuste les gaz pour corriger à l’œil notre pente de descente et met le nez de l'appareil sur l'horizon. L'autre devant a dégagé dans l'herbe sur la gauche, parfait la voie est libre. Je passe le seuil de piste, réduit les gaz, on tire doucement sur le volant et le 88 tiens le palier puis s'enfonce doucement avant de prendre contact avec le sol. Il y a encore de la piste et je ne me jette pas sur les freins. Volets rentrés, gaz au minimum je laisse l'avion ralentir comme un grand avant de dégager moi aussi l'axe de la piste par une bretelle. Je vois au loin une citerne et une ambulance qui roulent à fond de train dans notre direction, quelqu'un au sol a du finir par se rendre compte de la situation.
Un quart d'heure plus tard je reste seul avec mes pensées sur le tarmac. L'ambulance est partie avec nos deux Italiens, j'espère que le blessé s'en sortira. L'autre appareil était celui du gefreiter Barrack qui après avoir lâché ses torpilles plus tôt que nous a ensuite suivi la même procédure pour rentrer à la maison. On est bien de la même école, ça se sent. Mon navigateur-copilote-bombardier-secouriste-radio de Wolfgang est sorti de notre appareil un peu pâle mais avec la même joie au fond des yeux d'être rentré sain et sauf au bercail, puis est monté à bord d'un camion avec l'équipage du deuxième Junkers pour rejoindre l'intérieur des bâtiments car il nous faut encore prendre des nouvelles des deux autres appareils avec lesquels nous avons perdu le contact.
Pendant qu'une équipe de techniciens s'affairent sous le fuselage, Je fais le tour de notre bombardier, admiratif. Ça aurait été un 109, j'aurais déjà été abattu dix fois, mais lui a encaissé courageusement et nous a ramené sans broncher à la maison. Passant à coté des nacelles moteur percées en plusieurs endroits, j'entends le métal des radiateurs qui craque en refroidissant, et remarque une quantité de débris et d'échardes de métal coincés dans les grilles de protection... Dommage que le Lieutenant n'ait pas eu autant de chance que nous, il aurait certainement pu nous apprendre plein de trucs sur le pilotage des appareils lourds. Je continue de marcher, ma main glisse sur le fuselage, passe sur une myriade trous percés dans la tôle de la queue, survole l'arête tranchante d'une déchirure dans l'empennage horizontal, passe à travers un trou dans la gouverne de direction. Je lève les yeux vers le poste de pilotage pour contempler les montants à nu de la verrière du poste de radio et le carburant qui goutte toujours du trou dans le réservoir avant de s'évaporer au contact de la surface encore chaude du parking.
Regardant une dernière fois les reflets du soleil jouer sur la courbe douce de l'aile à la peinture écaillée, je me dirige d'un pas décidé vers l'équipe de mécanos en train de vérifier l'intégrité du train d'atterrissage.
" Messieurs, vous avez intérêt à me remettre mon appareil en état de vol au plus vite et à me soigner cette peinture, j'ai une revanche à prendre sur ces américains !"
Deux secondes de silence et on me regarde bien évidemment avec des yeux interloqués : personne ne comprend l'allemand ici. C'est bien dommage, parce que ça aurait été la classe de finir un récit là dessus pas vrai ?
Allongé sur mon lit, bien calé sur mon oreiller contre le mur du dortoir, je me refait une petite lecture studieuse de mon manuel de tir, ignorant autant que possible le bourdonnement de trois grosses mouches piégés à l'intérieur qui me tournent autour avec insistance. Non pas que je ne le connaisse déjà pas par cœur ou presque ce manuel, mais juste pour me repasser une fois de plus les textes et les schémas en mémoire, toujours à la recherche du petit détail oublié, du conseil de pro noyé dans la masse de texte insipide, de la chimère invisible qui transforme un pilote du rang en un authentique as de la chasse aérienne. Dehors le soleil brille, pas de nuage à l'horizon dans le ciel matinal d'un bleu éclatant , et je devine que la mer toute proche arbore aussi des couleurs qu'elle n'a rien à lui envier.
Paradisiaque ? loin de là ! Du moins pas pour moi. Malgré la fraîcheur relative qui règne dans le bâtiment, la température grimpe inexorablement avec la course du soleil et un mouvement pour me redresser me fait réaliser que j'ai déjà la chemise qui me colle dans le bas du dos. Ici après l'heure du déjeuner la chaleur devient franchement assommante, il y a deux semaine un de nos mécanos est même parti à l'infirmerie après avoir passé un heure et demie en plein cagnard à réparer une fuite d'eau sur un de nos moteurs. Les autochtones ont la sage habitude d'en profiter pour faire une petite sieste dans un coin d'ombre, mais nous on a des ordres et la corvée de patates qui pend au nez des tires-au-flanc. Parfois le soir, un orage venu de nulle part éclate au dessus de la base, mais ne fais généralement rien de plus que de brasser de l'air chaud pour le charger en humidité, alourdissant l'atmosphère d'une moiteur quasi-tropicale pour le reste de la soirée. Pour sûr le climat de notre chez-nous temporaire n'a rien à voir avec celui des côtes de la Baltique.
Temporaire parce qu'on a été muté ici il n'y a pas très longtemps, moi et quelques autres élèves pilotes de l'escadrille, seulement pour un temps limité. Notre chef instructeur attitré ayant été mystérieusement dépêché quelque part faire quelque choses pour un certain temps, plutôt que de nous laisser bailler aux corneilles, nos supérieurs ont décidé de nous envoyer en Sicile pour quelque mois, officiellement pour voir du pays et voler dans d'autres conditions. Tant qu'à faire avec des escadrilles étrangères. Je n'ai rien contre l'Italie, ni d'ailleurs contre les Italiens d'une manière générale mais je ne parle pas un traître mot de leur langue et de ce que j'en ai vu pour le moment, la réciproque est toute aussi vraie. Moins facile de tisser des relations amicales dans ces conditions, encore que la grappa locale et les quelques bouteilles de schnaps glissées en douce de le Junkers 52 de liaison apportent une certaine aide point de vue fraternité ! Heureusement pour nous dans la vie de tous les jours, le lieutenant nommé responsable de notre formation parle suffisamment italien pour nos besoins quotidiens. Ça nous permet entre autres choses de ne pas avoir à se faire des nœuds au cerveau à la radio, on a déjà assez à faire à faire avec le pilotage, le vol en formation et les exercices tactiques en tout genre.
On a beau avoir intégré les forces armées sur le tard, on n'est pas à la ramasse non plus. Ces exercices inter-nations et cette balade de santé dans le sud de l'Europe, personne ici n'y a cru plus de cinq secondes. Malgré le soin déployé par l’état major pour étouffer les mauvaises nouvelles émanant de l'Afrique du Nord l'automne dernier et minimiser leur portée réelle sur le plan stratégique, on sait tous que les Alliés ont maintenant un solide pied à terre de l'autre coté de la Méditerranée et qu'il ne comptent pas spécialement y installer des centres balnéaires ! Envoyer des recrues se refaire une santé dans une région qui pourrait bien devenir une zone de guerre dans les prochains mois, c'est juste trop gros à avaler, et l'occupation des îles de Pantelleria et Lampedusa le mois dernier a terminé d'asseoir nos supposition. Cela dit, on ne s'en est pas plaint non plus. La perspective de voir de l'action de près nous a tous motivés à faire nos paquetages. Chacun s'est imaginé la possibilité de pouvoir participer à de réelles patrouilles ou même à une escorte d'un raid contre un convoi de ravitaillement, mettre enfin un pied à l'étriller et pourquoi pas peindre notre première victoire sous la verrière de notre Bf109 ? C'est avec ces belles images dans la tête que nous avons embarqué à bord d'un vénérable trimoteur, pour un aller simple vers le bassin méditerranéen.
Je referme mon manuel, je crois que ça ne sera pas encore aujourd'hui que je décrypterais la science des anciens. Je me lève, m'étire et prend la direction de la sortie du bâtiment. Je ne sais pas pourquoi mais je ressens comme une lourdeur au fond du ventre, rien d'alarmant mais si j'ai mangé quelque chose de pas frais, autant prendre mes dispositions avant de se retrouver coincé dans le cockpit de mon chasseur. Je me refais le menu d'hier, rien qui ne me semble louche et en plus on a rien bu depuis la semaine dernière. Autre chose alors ? Peut être le fait qu'on ait pas croisé le lieutenant depuis quatre jours ? Tiens bizarre ça. Et pas d'exercice de programmé non plus au passage. Des périodes de trous dans le planning on en a eu par le passé mais plus j'y pense, plus j'ai le sentiment que quelque chose se trame. Et puis c'est quoi cette question stupide l'autre soir ?
"Dites moi Gefreiter.
- Herr Oberst ?
- Vous avez déjà fait quelques heures sur Messerschmitt 110 dans votre formation n'est-ce pas ?
- Le minimum réglementaire Herr Oberst
- Merci Gefreiter."
C'est tout, rien de plus, pas d'introduction, une embuscade verbale au détour d'un couloir sans plus de précision. Avec le colonel qui disparaît dans un bureau en claquant la porte en guise de conclusion. Une vraie pièce de théâtre avortée que j'ai vite mise à l'écart dans ma mémoire tant le contenu en était absurde.
Arrivé devant la porte du dortoir, j'enfile mes bottes fraîchement cirées, je prends une dernière bouffée d'air frais et me prépare à affronter la chaleur qui monte rapidement à l'extérieur, à dix heure du matin ça commence à cogner par ici. Une fois sorti, je jette un coup d’œil alentours. L'activité habituelle d'une base de réserve poursuit ici son cours habituel, les mécanos s'affairent autour des avions, une voiture de patrouille sillonne les abords du périmètre pour vérifier l'intégrité du grillage, les halftracks pointent leurs canons de 20 vers le ciel....
Les Halftracks ?
Himmel ! Quart de tour droite et direction la salle d'opérations, je dois savoir au plus vite qu'est ce que c'est que ce remue ménage ! Un exercice surprise j'espère ? Deux Fiat et une Volkswagen garées devant le bâtiment tactique, une paire de sentinelles en armes devant la porte, non ça ne sent pas bon du tout cette affaire ! Une fois à l'intérieur je tombe nez à nez avec le Gefreiter "Barrack", un autre élève pilote qui a intégré la FliegerSchule seulement une semaine avant moi.
"Tu tombes bien, on allait justement te chercher !
- Qu'est-ce qui se passe ici ? un exercice ?
- Si seulement ! Viens avec nous dans la salle de briefing le colonel va pas tarder à commencer.
- Le colonel ? le même qui est venu jeudi dernier ?
- Ja, enfin je crois."
Colonel, état d'alerte général, Bf110... des pièces commencent à s'imbriquer les une dans les autres mais le résultat est loin d'être plaisant. Nous pénétrons en hâte dans la salle de briefing, les autres élèves sont là ainsi que d'autres pilotes actifs, tous marinant dans l'obscurité et l'air lourd de la salle, assis face à une grande carte épinglée au mur et éclairée par deux timides ampoules jaunâtres. Une tension palpable flotte dans la pièce et tous les regards se tournent vers nous quand nous fermons la porte et nous frayons un chemin vers quelques chaises encore vides au fond. Une fois assis, l'officier commence son discours sans prendre de détours. Double nationalité oblige, un officier Italien tiendra par alternance le même discours, pour autant que je puisse en juger, dans sa langue maternelle.
"Bien, maintenant que tous le monde est là, on va pouvoir commencer. L’état major a décrété l'état d'urgence sur toute l'île, une flotte de débarquement a été repérée par un patrouilleur maritime et elle fait route droit sur la ville de Licata contact prévu dans l'après midi. Nous avons donc besoins de tous les pilotes disponibles pour contrer cette attaque au plus vite. Du point de vue logistique et tactique cette base ne répond pas aux besoins nécessaire pour le dispositif de défense, vous serez donc réassignés sur des bases plus importantes pour gonfler les effectifs locaux. Pour les élèves pilotes, vous avez été convoqués ici parce que vous êtes tous jugés aptes à faire votre première mission opérationnelle. Félicitations. Les détails des missions auxquelles vous participerez vous serons donnés par vos supérieurs respectifs déjà sur place."
Fichtre ça commence mal, un redéploiement tactique d'urgence, une flotte de débarquement complète près de nos plages, pas de détails précis sur notre rôle... Amusant de voir comme notre confiance personnelle dans nos capacités de pilotes se tassent une fois au pied du mur. On avait tous envie de partir en vraie mission d'aller chasser de vrais ennemis, d'appuyer sur la commande de tir pour de vrai, d'être enfin de vrais pilotes de chasse avec les galons et tout et tout, mais pas dans ces conditions, pas dans l'urgence comme ça et pas en face d'une opération ennemie de cette envergure. Je sens ma boule au ventre qui prend lentement mais sûrement du volume pendant que les officier désignent tour à tour les pilotes présents et leur bases d'affectation.
"Pour les quatre élèves assis dans le fond, dit-il en me fixant dans les yeux, vous serez transférés sur la base de Reggio di Calabria, où vous vous rapporterez à votre lieutenant d'instruction. Prenez l'équipement nécessaire au vol, départ dans un quart d'heure."
Voilà, c'est dit. Une autre réponse vient au passage de tomber, on connaît maintenant la position du Lieutenant et implicitement les raisons de son absence sur la base. Une fois les dernières consignes dispensées, nous sortons dans l'ordre de la salle de briefing pour aller chercher notre barda dans nos quartiers et prendre place dans les camions de transport qui nous emmènerons sur notre nouveau terrain d'opération. Le postérieur calé sur la planche de bois qui fait office d'assise dans la benne, je coince comme je peux mon paquetage entre mes jambes pendant que deux soldats Italiens grimpent à l'arrière et verrouillent la ridelle. Les moteur ne tarde pas à ronfler dans une bouffée de fumée noire et de poussière soulevée par l'échappement et le convoi prend lentement la direction de la sortie de la base. Nous croisons une autre file de camions arrivant en sens inverse, tractant de lourds canons de Flak de 88mm. Pas de doutes, cette fois c'est du sérieux.
Je n'ai rien contre l'Italie ni contre les Italiens, mais s'il y a une chose que je me permettrai quand même de critiquer, c'est leur incapacité à construire des routes dignes de ce nom. Le trajet jusqu'à Messina ne sera qu'une alternance entre pistes poussiéreuses, routes gravillonnées minées de nids de poules et chemins de campagne caillouteux. Le convoi progressant péniblement se dispersera petit à petit à mesure que chacun prend la route vers sa propre destination. Je me surprends à me demander qui aura le trajet le plus confortable de nous tous ? Les suspensions des camions dimensionnées pour des caisses de munitions couplées à l'amorti légendaire de la planche de bois nous font bénéficier d'un confort digne de la plus antique des charrettes paysannes. Mon plus grand respect va à ce moment aux hommes de la Wermacht qui passent leurs journées ballottés là dedans sur les grandes étendues du front de l'est.
Tout le monde est silencieux à l'arrière, chacun assimile les nouvelles à sa manière, et moi même je tente de faire le point malgré la lente agonie de ma fesse gauche. Premièrement malgré le fait qu'on nous envoie au charbon, le colonel a bien pris le soin de nous mentionner jusqu'au bout comme "élèves pilotes" donc la formation continue pour nous, même si visiblement ça sera sur le tas. Deuxièmement on va voir l'ennemi de près, il faut donc se préparer mentalement à en baver et peut être à y laisser des plumes. Les gens d'en face ont certainement de la bouteille et ne se laisseront pas aller à des manœuvres volontairement inadaptées pour un exercice pédagogique. Mourir ? Heureusement l'idée n'arrive même pas à prendre pied dans mon esprit tant le concept de tombé au combat reste flou. Après tout chaque rencontre ne signifie pas forcément d'appareil abattu, il y en a qui volent des dizaines d'heures sans jamais croiser personne. Et au pire, on a notre parachute non ? Troisièmement, Reggio di Calabria, plus loin que ça de la ligne de front ça va être dur. La base n'est même pas sur le sol Sicilien. On ne devrait donc basiquement pas se retrouver au plus fort de l'action, notre, nos missions seront certainement secondaires et avec un risque limité. Envoyer des novices au casse pipe dans la Luftwaffe ça coûte cher en matériel.
Arrivé au port de Messina, notre camion depuis longtemps orphelin du convoi coupe son moteur près d'un quai où est amarré le bateau de transport léger qui nous fera faire la traversée du canal vers notre point de chute. Précédés des deux soldats, nous descendons du camion avec notre barda en nous étirant douloureusement les jambes, ça au moins c'est fait. J'espère qu'ils ont prévu des coussins à bord du bateau. Un salut sincère à nos deux camarades de l'amicale des culs meurtris qui repartiront certainement avec leur vieille guimbarde, et nous voilà à bord du transport. Je salue le capitaine d'un "Guten Tag" bien de chez nous, histoire de signifier que s'il veut taper la causette, ça sera certainement pas dans sa langue natale. Lui me répond d'un Buongiorno des plus formels, je pense que le dialogue s'en tiendra à ça. Tant mieux je suis pas d'humeur à jacasser. La traversée sera d'un inintérêt de courte durée et nous serons rapidement débarqués de l'autre coté, sous le regard maussade du Lieutenant qui nous attend sur le quai à coté d'un camion militaire. Aïe, la dernière fois qu'on l'a aperçu il avait quand même l'air plus jovial que ça. Son sourire forcé ne parviendra pas à dissiper la tension du moment, il sait des choses. Encore de bonnes nouvelles en perspectives.
"Herr Oberleutnant !
- Halo les gars, j'espère que vous vous êtes bien reposé ces derniers jours. Je crois que vous avez eu droit à la mise en bouche à la base, laissez moi vous donner la suite du menu."
Et c'est reparti pour un nouveau convoyage sur planche de bois ! Heureusement la base est toute proche.
"Tout d'abord je tiens à préciser que j'ai tout fais pour que l’état major change d'avis mais les ordres sont les ordres, vous partirez tous les quatre avec moi et nous ferons route vers la flotte ennemie pour neutraliser un maximum de leurs bâtiments avant que le gros de leurs troupes ai débarqué.
- On escorte des torpilleurs ?
- Non, on pilote des torpilleurs."
Bf110, tout s'éclaire ! le colonel ! L'enfoiré ! Mais la surprise n'aurait pas été totale si le hasard n'avait pas fait que nous découvrions nos montures au moment précis ou une soudaine envie de suicider quelqu'un me traverse la tête. Dans la direction indiquée par le doigt du Lieutenant, six lourds Junkers 88 sur le tarmac, la peinture attaquée par le soleil et les embruns, entourés de camions citernes, de caisses de munitions et de mécanos en train de fixer deux grosses bombes par appareil sous le fuselage. Mein Gott, des mois de travail pour dompter nos fougueux 109, à devenir intime avec les boutons du tableau de bord, à défier la gravité lors d’entraînements aux dogfights, à appliquer les tactiques des as les plus célèbres de la Luftwaffe et même mettre les mains dans le cambouis si nécessaire, et nous voilà lamentablement relégués, pour la Grande Première en plus, à conduire... pardon, piloter ces gros camions bossus. Et droit dans la gueule du loup !
Pas trop le temps de manifester notre profond mécontentement, il y a du boulot à faire et il semblerait qu'on ai déjà pris du retard. Arrivés au pied du premier appareil, le Lieutenant prit une carte et la déplia sur une caisse de munitions vide. Jetant un œil sur le tas de ferraille qui nous servira bientôt de monture, je remarque alors trois petites hélices sur le nez des bombes.
"Décollage au plus tard dans 45 minutes, alors ne perdons pas de temps. Une fois tout le monde en l'air on se regroupera au sud de la base, formation en V, puis cap sur Catania où nous devrions retrouver un autre groupe de Torpilleurs en Heinkel 111 ainsi qu'une escorte de MC205. puis on contournera la pointe sud de l'île pour arriver plein travers sur la flotte ennemie. On largue notre colis puis retour sur Catania et enfin sur la base.
Vous avez vu notre cargaison ?
- Ja
- LT350 ou Motobomba comme ils appellent ça ici, j'ai demandé ça exprès pour vous sachant que personne n'a d'expérience en torpillage ici. En gros c'est une torpille autonome parachutée. Vous la larguez d'en haut, elle redescend sur son parachute et une fois dans l'eau elle travaille toute seule. Les He111 attaqueront au raz des flots, nous en altitude, ça divisera leur Flak autant que possible.
Pour l'équipage ce sont des novices comme vous, aussi n'en attendez pas trop d'eux. Bien je vous laisse inspecter vos machines et faire connaissance avec le tableau de bord, occupez vous simplement du pilotage, suivez moi faites ce que je dis et tout se passera bien. "
S'il le dit... Je me dirige vers un appareil au hasard, celui-là ou un autre de toute façon ça ne fera pas une grande différence. Je déballe mes affaire, enfile ma combinaison de vol et sangle mon parachute puis m'insère dans la cabine par la trappe de la gondole du mitrailleur sous le fuselage. Aurait-on pu imaginer moins pratique pour rentrer à bord ? Le poste de pilotage est une fournaise, il est 15 heures passées, la carlingue est chaude et sous la serre que représente l'imposante verrière du bazar, les instruments de bords bouillants. Je m'attendais presque à voir le liquide de notre compas magnétique entrer en ébullition. Tout ce qui peut être ouvert pour faire circuler l'air l'est déjà mais la chaleur se dissipe mal ici et je sens déjà une goutte de sueur perler sur mon front. Je salue mon équipage de fortune, nouvelle surprise : Deux d'entre eux ne parlent pas la langue ! Je nage en plein rêve. Wolfgang, le seul germain à part moi est à la place de copilote bombardier, étant de base navigateur sur Ju52. Quant aux autres, Sergio occupera la radio, tant mieux pour nous, tandis que le dénommé Giulio fera office de mitrailleur de bord dans la gondole ventrale. J'hallucine. Jamais je n'ai vu d'organisation aussi pitoyable de ma courte carrière, ça pourrait presque en être comique si nous n'étions pas à 30 minutes du décollage pour notre première vraie mission armée, au dessus d'une flotte de combat hostile.
Je m'installe sur le siège du pilote et commence à décortiquer l'organisation du tableau de bord et des commandes associés. Heureusement pour moi, les plaquettes de description vissées sous certains éléments sont toujours en allemand, ça fais ça de moins à réfléchir. Au final les commandes ne sont pas si complexes que ça pour un engin de cette taille et tout reste identifiable. Sans cette saleté de viseur reflex qu'un ingénieur beurré m'a vissé en plein milieu du champ de vision, le poste de pilotage aurait presque été agréable. 20 minutes avant décollage. Robinet de carburant ouvert circuit électrique sur marche, magnétos 1+2... Je me fais une mise en route perso, inspirée de ce qui me reste des procédures de ce satané Bf110, après quelques toussotements d'hésitation, le moteur gauche se met en route, suivi une minute plus tard de son homologue de droite. Je remarque les trois jauges vissée directement contre le capotage moteur, ainsi que les pipes d'échappement en ligne qui jurent avec la forme circulaire des radiateurs qui laissaient croire qu'il s'agissait d'un moteur en étoile. Un moteur en ligne dans un capotage rond... C'est plus que beurré qu'il était l'ingénieur... Les aiguilles de température grimpent vite, j'ouvre les capots des radiateurs et me prépare à rouler.
Sergio règle le volume de la radio et bientôt des échanges en Italien commencent à fuser dans mon casque. Heureusement qu'il est là lui au final. Puis au milieu du brouhaha général retentit enfin la voix du Lieutenant :
"Paré au roulage mesdemoiselles ? On décolle face au sud circuit par la gauche et cap de sortie au 220, suivez moi et faîtes moi le plaisir de ne pas vous perdre tout de suite."
J'entends des moteurs ronfler, et un des pesants Junkers s'ébranle, suivi d'un autre, puis d'un autre. Quand vient mon tour je pousse la manette des gaz, et le sol se met à se mouvoir sous nos pieds. Évidemment avec un poids pareil ça roule lentement, ça tourne mal et c'est à grand renfort de coup de freins, de palonnier et de gaz que je garde tant bien que mal l'axe du taxiway principal. Je surprends le regard angoissé de Wolfgang, et lui lance un "T'inquiètes pas, le roulage ça a jamais été mon truc" ou quelque chose du genre en vue de détendre l'atmosphère. N'ayant pas la répartie inspirée des anciens, mon commentaire tombera plat et ne servira qu'à nourrir les angoisses de mon copilote quant à mes capacités de pilotage pour les autres phases du vol. Et en plus il y en a deux là-derrière qui n'ont même pas saisi le sens littéral de ma phrase...
Alignés sur la piste les bombardiers s'élancent un à un sur la piste dans le vrombissement de leurs moteurs Jumo. J’aperçois dans le ciel en bout de piste l'appareil du Lieutenant qui entame le traditionnel circuit main gauche pendant que d'autres peinent encore à soustraire leurs masses à l'attraction terrestre. Dernier check : radiateurs ouverts, pas d'hélice au mini, volets au deuxième cran, instruments moteurs dans le vert, on peut y aller. Je pousse la manette des gaz à fond, les moteurs rugissent et la piste se met à défiler sous le nez vitré à une allure pataude. Gott ! qu'est-ce qu'on se traîne. Je vois le bout de piste qui se rapproche, l'aiguille du badin qui passe seulement les 130km/h... est-ce physiquement possible de charger autant de bombe que ce que les manuels disent sur cet engin sans aller labourer les champs voisins ? 170km/h, je tire doucement sur le volant et je sens les roues quitter doucement le sol.
Pas de précipitation, je rentre le train mais pas les volets de peur de retomber par terre comme une enclume. Pendant ce temps, le Lieutenant nous demande à la radio de mettre directement le cap sur Catania et de se regrouper sur le chemin, on est déjà limite au niveau timing. Virage à 10° d'inclinaison par la droite, ça a l'air de tenir en l'air, j'incline un peu plus 15°, 20°, ouf ça tient toujours ! Une fois arrivé au 220 je redresse, ne rentre qu'un cran de volet (juste au cas ou...) et entame la montée vers notre altitude cible de 3500m. J'ajuste les paramètres sur les recommandations du Lieutenant, pression d’admission, pas d'hélice, on referme un peu les volets de radiateur pour gratter quelques km/h de plus. Camion compensé, un variomètre positif, je souffle un peu. Il faut admettre qu'avoir des compensateurs sur les trois axes c'est quand même agréable. Sur nos 109, le couple moteur du Daimler-Benz finit par fatiguant pour la jambe droite à la longue. Je me risque à faire un peu de mathématiques, 3500m avec une vitesse ascensionnelle minable de 4m/s ça fait... En fait non, je ne veux pas savoir !
Le décollage un peu précipité et le manque, que dis-je, l'absence d’entraînement sur cette brouette rend la mise en formation plus délicate qu'à l'accoutumée, tous se signalent par radio et, au moins en vue de l'esprit, j'ai une idée de la situation présente mais j'ai beau me contorsionner, pas moyen d'avoir autre chose que l'appareil du Lieutenant en visuel. J'espère que les autres me voient parce que sinon...
La montée continue et je me traîne comme pas permis. J'ai souvent eu la désagréable sensation d'avoir hérité de l'appareil défectueux de l'escadrille, d'avoir les bons paramètres moteurs mais de me retrouver à la traîne. En général c'est juste une impression ou une trajectoire inadaptée en virage mais là je vois l'avion devant moi qui semble clairement s'éloigner. Je réduis un peu le pas, pousse un peu les gaz en pestant pour moi même à voix basse contre le veau dans lequel je vole. 230km/h, le variomètre qui ne bouge pas d'un Iota. Mais qu'est-ce que c'est lent. Et dire qu'il y en a qui pilotent ça toute leur carrière. Cela dit avec Wolfgang et son Ju52 assis juste à coté, je ferais peut être mieux de ne pas râler trop fort, il y a des gens qui sont susceptibles vous comprenez ? 240km/h, sur ma droite aperçoit enfin un autre Junkers, celui de Barrack qui grignote progressivement la distance qui le sépare du leader de la formation. Au moins lui il avance ! Quelle poisse... 250km/h l'avion s'enfonce soudainement et pique un peu du nez, mais le badin semble se réveiller. Les volets automatiques ! Concentré de crème d'andouille ! J'ai pas rentré les volets, la voilà l'explication ! Je peste contre moi même cette fois-ci tout en corrigeant la trajectoire. 260, 270, forcément comme ça ça grimpe mieux. Je me cale les omoplates contre le fond de mon siège et je commence enfin à me détendre. Dans quelques minutes j'aurais rattrapé le retard et la formation sera enfin établie proprement.
Quoique aride en cette saison, c'est beau la Sicile vu d'ici, profitant du calme qui règne à bord de notre bimoteur et de notre grande verrière panoramique, mon regard balaie le paysage avec un plaisir toujours aussi vif. Les magnifiques couleurs de la mer le long des côtes, la garrigue sèche et sa végétation agressive, les vallons creusées par les rivières, l'Etna qui nous domine encore du haut de ses 3300m. Et dire qu'une fois sur l'objectif, on ne sera seulement qu'à 200m au dessus de son sommet. Le ciel d'un bleu profond, vierge de toute nébulosité, s'étend au dessus de nos têtes, lui qui m'a tellement fait rêvé depuis mon enfance, maintenant j'y suis, je le sillonne librement dans le vrombissement guttural des moteurs. Puis une note plus claire s'élève dans la mélodie régulière de notre mécanique et deux chasseurs passent au dessus de la formation, des appareils Italiens avec leur longs nez et leurs redoutables canons de 20mm pointant hors de leurs ailes. Voilà notre escorte qui nous rejoint, parfait plus qu'à retrouver les Heinkels et on sera fin prêts.
Le calme de la radio fut soudainement rompu par une série d'ordres aboyés et de cris en tout genre, qu'est ce que c'est que ce bordel ? De l'Italien certes mais qu'est ce que ça dit ? Je reconnaît la voix du Lieutenant qui intervient dans le flot désordonné d'informations craché par mon casque, puis soudain un échange en Allemand dont le contenu me glace le sang. Dans la précipitation, une heure de rendez-vous erronée a été donnée à l'une ou l'autre de nos escadrilles et après avoir cerclé un moment au dessus de Catania sans rien voir venir, les autres torpilleurs on pris la direction de la flotte de débarquement, seuls et sans escorte. Au moins trois appareils abattus, et surtout, plus de bénéfice de l'effet de surprise pour nous. Tout le monde doit être sur le qui vive à bord des navires de guerre et des patrouilles aériennes sont sûrement en train de se rediriger sur la zone. On se regarde avec Wolfgang, puis il jette un œil vers Sergio et Giulio assis derrière nous... Pas besoin de plus pour comprendre qu'on a les pieds dedans jusqu'au nombril.
Sur la fréquence, le calme revient petit à petit, je croise les doigts depuis déjà une longue minute mais l'ordre d'annulation de la mission ne viendra visiblement pas. Pourtant cinq bombardiers face aux pièces anti-aériennes de plusieurs dizaines de navires de combat, l'équation n'est pas bonne. Mais apparemment ça ne dérange personne à part ceux qui sont directement concernés. Le Lieutenant nous ordonne de serrer la formation pour virer au cap 290, on s'exécute tant bien que mal, la réactivité aux sollicitations de la manette des gaz étant ce qu'elle est. Puis la formation prend la route vers l'ennemi, vers l'objectif, j'espère que la route de retour est aussi programmée là dedans.
Les minutes passent à la vitesse d'une tortue tant la tension monte à mesure que la côte sud défile à notre droite. 3500m, Avion compensé, masques à oxygène enfilés, Wolfgang et moi avons les yeux rivés sur l'horizon. Une myriade de petits points se profilent sur l'eau, à quelques miles du rivage. On y arrive. Dernière correction de cap et le Lieutenant donne les dernières consignes. "On garde bien la formation au dessus de l'objectif, larguez les torpilles à mon top et ensuite cap au nord et on colle plein pot pour se sortir de là au plus vite". La cible se rapproche en contrebas, je demande à Wolfgang d'armer les torpilles et de se tenir prêt au largage.
Une détonation sourde retentit, suivie d'un autre, puis de deux, puis de quatre. Autour de notre formation les nuages noirs des tirs de canon anti-aériens fleurissent comme les taupinières dans le jardin de mon grand père. Quelques claquement plus secs commencent à se faire entendre à mesure que les artilleurs prennent leurs marques. Il va falloir faire vite avant que la situation ne devienne intenable. Je regarde par le plancher vitré de la cabine en direction de l'ennemi, le cap est toujours bon, je distingue à la surface les éclairs des pièces d'artillerie qui crachent aussi vite que leurs servants peuvent les alimenter.
Un flash aveuglant, puis une boule de feu emplit mon champ de vision. D'instinct je ferme les yeux tandis que j'entends des centaines de débris qui crépitent contre la carlingue. Quelque part dans le nez de l'avion une vitre se brise et un courant d'air froid s'engouffre dans le poste de pilotage, faisant s'envoler ma carte calée négligemment sur mes genoux. Quand je rouvre les yeux je constate avec horreur que le Junkers du Lieutenant a disparu. Wolfgang pointe quelque chose du doigt, et je vois une moitié avant de bombardier descendre en flèche vers la mer, se retournant comme une feuille morte et laissant dans son sillage une épaisse fumée noire vomie par le réservoir central du fuselage coupé net par un tir direct. Une détonation et des impacts de shrapnels contre le fuselage et la verrière me tirent immédiatement de ma contemplation morbide. Il faut agir et vite !
Se sortir de là ? Pas tout de suite... On est arrivé jusque là, autant que ça serve. On rentrera à la nage s'il le faut. Je réfléchis à toute allure : une torpille parachutée ça tombe droit mais peut être pas complètement, il faut bien que ça avance un peu le temps que le parachute s'ouvre. Mais de combien ? On vole haut, un peu suffira. "Règle le viseur de bombardement sur 5° vers l'avant et largue quand tu verra les premiers bateaux" Ordonnais-je à mon copilote. Les secondes s’égrènent au rythme des détonations. Un nouveau claquement, de nouveaux impacts, je me crispe sur les commande en luttant contre l'envie pressante de breaker droit au nord vers notre porte de sortie. "Largué !" M'annonce-t-il enfin. Pas de temps à perdre, je pousse les gaz au maximum et entame un virage sec vers la droite. Je tire sur le manche pour prendre de l'altitude et ne pas percuter les autres avion s'ils sont encore en formation. Encore des impacts, décidément ils ne sont pas mauvais tireurs ces américains.
Une nouvelle explosion me vrille les tympans, et je vois des morceaux de verre rebondir partout autour de nous. Des cris étouffés par le rugissement des moteurs me parviennent aux oreilles. L'avion vole toujours cependant. On arrive vaguement dans la direction du nord, je redresse l'appareil et tente de jeter un coup d’œil derrière pour voir Sergio, affalé sur son siège, le col de sa combinaison rougie par le sang. Giulio s'extirpe de toute urgence de sa gondole pour aider son compatriote. Une artère du cou a probablement été entaillée car je le vois tenter de faire pression sur la blessure. Et toujours la tempête d'artillerie qui se déchaîne dehors, des éclat d'obus qui traversent le blindage et les notes déchiquetées du carnet de notre officier radio qui volent partout dans le cockpit. Si on ne se sort pas d'ici rapidement c'est bien plus que des plumes qu'on va laisser.
J’aperçois deux appareils au loin devant nous, certainement deux autres Junkers au vu de la configuration, ils ont donc viré avant nous bande de... Si on s'en sort et qu'ils ont encore leurs torpilles accrochées sous le fuselage, je leur botte le train sitôt qu'on a atterri. Petit à petit l'intensité de la défense anti-air diminue et les obus explosent de façon plus clairsemée. On va peut être s'en tirer après tout. Enfin pas tous, pas si notre opérateur radio continue de se vider de son sang. Je regarde derrière mon siège, Wolfgang tente de descendre Sergio dans la gondole pour l'allonger pendant que Giulio maintient le point de compression sur son cou. Plus besoin de navigateur-bombardier de toute façon, je peux gérer le reste tout seul maintenant.
Je jette un coup d’œil au ciel dehors, plus aucune trace de notre escorte. Ni devant ni derrière. Et plus de trace des deux bimoteurs non plus d'ailleurs ! Scheisse ! Où sont ils passés ? Je fais un point rapide de la situation. Aussi surprenant que ça puisse paraître, notre avion vole toujours. Les commandes répondent, pas de hausse de température moteur ni de baisse de pression dans les circuits. Par contre on est tout seuls et vulnérables dans le ciel. La meilleure option pour nous c'est de se mettre en descente. D'une part ça ne fera pas de mal à notre blessé de retrouver une pression atmosphérique normale, et d'autre part malgré la peinture vieillissante, le camouflage dans les tons sable sera efficace pour se planquer sur la végétation jaunie par le soleil de l'île.
Deuxième interrogation, on est où ? La question préférée des instructeurs lors des patrouilles longues, avec une difficulté bonus ici puisque ma carte s'est probablement envolée avec la moitié arrière de la verrière. Je me refait le chemin suivi jusqu'à présent, et réalise qu'il n'y a pas besoin de savoir précisément où on est, pour nous ça sera suivre l'Etna jusqu'à la côte et remonter la côte jusqu'à la base. Finalement c'est facile la navigation au dessus de la Sicile !
Une fois la descente effectuée et l'avion compensé pour tenir tout seul son palier et le cap de retour, je me risque lâcher brièvement les commandes pour aller voir rapidement notre blessé et l'état de la radio. Un truc à ne pas faire en 109 ça ! Sergio a été allongé dans la gondole et semble toujours respirer, Giulio maintient toujours sa main contre la carotide de son camarade, car il n'y a pas moyen de faire autrement ici. Mais au moins il ne semble pas alarmiste quant aux chances de survie du blessé. Il faudra que je fasse demander une trousse de premier secours pour le prochain vol. La radio elle semble toujours fonctionnelle. C'est certainement un éclat de verre qui a amoché notre camarade, car je ne voit que peu de dégâts matériels. Dehors, une traînée blanchâtre s'échappe de notre aile gauche, certainement une fuite de carburant. Me rasseyant aux commandes pour corriger une petite dérive, je jette un coup d’œil aux jauges, les réservoirs sont encore relativement pleins, ça ne posera donc pas de problème pour rentrer. Je demande à Wolfgang de s'installer à la radio.
"Pour la nav je peux gérer, essaie de voir si t'arrives à retrouver la fréquence de la base et à demander une équipe médicale au sol d'urgence
- En allemand ? C'est pas gagné !
- Essaie quand même, en insistant peut-être qu'ils auront l'intelligence d'aller chercher quelqu'un qui comprend ce qu'on dit.
- D'acc. T'as vague une idée de la fréquence ?
- Pas la moindre non ! regarde dans les feuillets qui traînent un peu partout en cabine, peut être qu'une grille des fréquences du coin s'y trouve toujours."
Je laisse mon nouvel opérateur radio à sa pêche aux petits papiers blancs et me concentre à nouveau sur le pilotage. On passe les contreforts de L'Etna, maintenant cap au nord est et normalement on tombe sur la base. Je nous maintiens en dessous des 600m d'altitude. Avec le temps les pilotes d'en face ont fini par comprendre que pour garder la supériorité sur nos appareils, il suffit de voler plus haut que nous. Et alors que de notre coté on remet indéfiniment à niveau les version vieillissantes de nos appareils, en face les bureaux d'étude travaillent d'arrache pied à des prototypes toujours plus efficaces et mieux conçus pour remplir leurs rôles. L'avantage matériel dont nous jouissions au début du conflit s'est peu à peu réduit à néant. Mais pour une fois ça va me servir grandement et peut être sauver nos fesses, car à voler plus haut et plus vite, on voit beaucoup moins ce qui se passe en bas.
La côte Italienne enfin ! Bientôt la base sera en vue et je pourrais ramener l'avion et ses occupant sur la terre ferme. Derrière mon siège, Wolfgang s'évertue à essayer de se faire comprendre du contrôle aérien, visiblement sans succès. Dernière partie du voyage, traverser la bande d'eau qui nous sépare de notre site d'atterrissage. Notre camouflage sera beaucoup moins efficace, mais tomber accidentellement sur une patrouille hostile aussi loin derrière nos lignes, ça relèverait d'un plan démoniaque visant à faire disparaître ma carcasse de la surface du globe. Il y a urgence de toute façon, donc ça se tente.
Et toujours pas de réponse claire de la radio. Je demande à Wolfgang de me passer le micro filaire du poste, et à sa grande surprise hurle dans le combiné :
"Oberleutnant kaput verstanden ? Oberleutnant kaput, Sergio kaput, Notlandung verstanden? Notlandung !"
Je fais signe au mitrailleur coincé dans sa gondole de faire de même dans sa langue, au cas où le contrôle saisisse un ou deux mots par dessus le vrombissement des moteurs, et je prépare mon approche. Bande de guignolos, si ces incapables n'ont rien pigé ils seraient bien capables de laisser des véhicules ou d'autres avions se balader sur la piste et là, bonjour la catastrophe à l'atterrissage. J'aurais aimé faire au plus court mais on va quand même faire une verticale du terrain, juste au cas où. Notre appareil aborde la cote à 400m d'altitude, et je remarque un autre avion de le circuit de piste, un autre 88. Peut être l'un des nôtres, après tout ça, après une expédition dans le monde hostile du champ de bataille, un voyage à la fois court et interminable dans une autre réalité, où je ne me suis jamais senti aussi isolé de ma vie malgré la toute proximité de mon équipage, ça serait agréable de retrouver une tête familière. Vivement un bon verre ce soir au mess... mais pour le moment j'ai encore un avion à poser.
Le terrain passe en dessous de nous, la piste semble libre. Je réduis complètement les gaz. Virage à gauche, je vais me mettre derrière l'autre Junkers. Tout a à peu près fonctionné jusque là, j'espère que ça va continuer. Avec la quantité de trous qu'on a du récolter dans la carcasse, ça serait improbable, surréaliste même de ne pas avoir une durite crevée quelque part. Mein Gott le train d'atterrissage ! Je réalise soudainement que s'il ne se verrouille pas complètement et qu'on doit se poser en ventral, je ne donne pas cher de nos deux Italiens, mais en l'état je ne sais même pas si il est possible de les sortir de la gondole sans que Sergio ne perde un nouveau litre de sang. Quand quelque chose s'engage mal, "ouvre les yeux, ferme la bouche et serre les fesses" disait un vétéran de la chasse croisé dans un bar un soir d'hiver. Je crois que je vais faire ça.
Je tire sur la commande des volets d'atterrissage pour casser un peu notre vitesse mais la commande revient à sa position initiale et les volet avec. Himmel ! ça commence mal, je réessaie une deuxième fois mais les volets refusent de se verrouiller en position. Je me disais bien que c'était trop beau, j'espère que les pneus pourront encaisser un atterrissage pleine bourre. Je regarde l'anémomètre, 265km/h, trop rapide, même pour un chasseur... et une fois de plus, je percute avec du retard : L'ingénieur bourré ! Immédiatement je cabre l'appareil, et regarde l'aiguille passer en dessous des 250km/h, je tire une nouvelle fois avec appréhension sur la commande et cette fois ça y est, les volets se mettent à sortir et je ressent l'appareil qui décélère progressivement. Maintenant le train, les deux lumières rouges s'éteignent, les secondes s'écoulent, une verte, deux vertes train sorti et verrouillé ! Je remet un peu de gaz pour tenir une vitesse d'approche correcte et lâche un grand soupir de soulagement, il doit y avoir quelqu'un qui me surveille depuis tout là haut.
Je recherche le bimoteur me précédant et l’aperçoit en courte finale, j'espère qu'il ne va pas se vautrer sur la piste parce que je ne suis pas d'humeur à refaire un circuit. J'amorce le virage pour m'aligner sur l'axe principal et ouvre les yeux, s'il ne dégage pas rapidement, je me poserai sur le taxiway et tant pis pour ceux qui sont dessus, ils se pousseront. Aligné dans l'axe, tout sorti, j'ajuste les gaz pour corriger à l’œil notre pente de descente et met le nez de l'appareil sur l'horizon. L'autre devant a dégagé dans l'herbe sur la gauche, parfait la voie est libre. Je passe le seuil de piste, réduit les gaz, on tire doucement sur le volant et le 88 tiens le palier puis s'enfonce doucement avant de prendre contact avec le sol. Il y a encore de la piste et je ne me jette pas sur les freins. Volets rentrés, gaz au minimum je laisse l'avion ralentir comme un grand avant de dégager moi aussi l'axe de la piste par une bretelle. Je vois au loin une citerne et une ambulance qui roulent à fond de train dans notre direction, quelqu'un au sol a du finir par se rendre compte de la situation.
Un quart d'heure plus tard je reste seul avec mes pensées sur le tarmac. L'ambulance est partie avec nos deux Italiens, j'espère que le blessé s'en sortira. L'autre appareil était celui du gefreiter Barrack qui après avoir lâché ses torpilles plus tôt que nous a ensuite suivi la même procédure pour rentrer à la maison. On est bien de la même école, ça se sent. Mon navigateur-copilote-bombardier-secouriste-radio de Wolfgang est sorti de notre appareil un peu pâle mais avec la même joie au fond des yeux d'être rentré sain et sauf au bercail, puis est monté à bord d'un camion avec l'équipage du deuxième Junkers pour rejoindre l'intérieur des bâtiments car il nous faut encore prendre des nouvelles des deux autres appareils avec lesquels nous avons perdu le contact.
Pendant qu'une équipe de techniciens s'affairent sous le fuselage, Je fais le tour de notre bombardier, admiratif. Ça aurait été un 109, j'aurais déjà été abattu dix fois, mais lui a encaissé courageusement et nous a ramené sans broncher à la maison. Passant à coté des nacelles moteur percées en plusieurs endroits, j'entends le métal des radiateurs qui craque en refroidissant, et remarque une quantité de débris et d'échardes de métal coincés dans les grilles de protection... Dommage que le Lieutenant n'ait pas eu autant de chance que nous, il aurait certainement pu nous apprendre plein de trucs sur le pilotage des appareils lourds. Je continue de marcher, ma main glisse sur le fuselage, passe sur une myriade trous percés dans la tôle de la queue, survole l'arête tranchante d'une déchirure dans l'empennage horizontal, passe à travers un trou dans la gouverne de direction. Je lève les yeux vers le poste de pilotage pour contempler les montants à nu de la verrière du poste de radio et le carburant qui goutte toujours du trou dans le réservoir avant de s'évaporer au contact de la surface encore chaude du parking.
Regardant une dernière fois les reflets du soleil jouer sur la courbe douce de l'aile à la peinture écaillée, je me dirige d'un pas décidé vers l'équipe de mécanos en train de vérifier l'intégrité du train d'atterrissage.
" Messieurs, vous avez intérêt à me remettre mon appareil en état de vol au plus vite et à me soigner cette peinture, j'ai une revanche à prendre sur ces américains !"
Deux secondes de silence et on me regarde bien évidemment avec des yeux interloqués : personne ne comprend l'allemand ici. C'est bien dommage, parce que ça aurait été la classe de finir un récit là dessus pas vrai ?
F/JG300_Gruber- Leutnant
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Re: Session d'entrainement spéciale en Sicile
Pas mal . Il y a des détails qui montrent qu'il y a du vécu virtuel ( ) et une recherche de documentation . Néanmoins le rythme général semble un peu poussif . Il y a beaucoup de phrases très longues . C'est peut-être un aspect du texte à remanier ?
JG300_Olaf- Oberfeldwebel
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Date d'inscription : 24/09/2008
Re: Session d'entrainement spéciale en Sicile
Certainement, jusque là j'avais encore jamais rien écrit de ma vie y'allait forcément y avoir des trucs à remanier !
Merci pour la critique Olaf
Merci pour la critique Olaf
F/JG300_Gruber- Leutnant
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Age : 38
Localisation : Dans la Yaute
Date d'inscription : 14/03/2015
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