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Message par psyduck Mer 22 Mar 2006 - 18:43

http://www.liberation.fr/page.php?Article=368941


Société
Révélations sur le programme secret de défense français entre 1921 et 1972.

Comment l'armée a préparé la guerre biologique

par Jean-Dominique MERCHET
QUOTIDIEN : mercredi 22 mars 2006




Dans le plus grand secret, la France a mené un programme d'armes biologiques jusqu'au début des années 70. Pour la toute première fois, un jeune chercheur, Olivier Lepick, lève le voile sur ces recherches qui se sont arrêtées... faute de crédits ! Absolument rien n'avait été publié sur le sujet avant les travaux de ce polytechnicien, également docteur en histoire, qui a eu accès aux archives militaires du château de Vincennes. «On savait confusément qu'il y avait un programme biologique. Mais, pour le reste, on n'avait rien de rien. Cela a été très difficile de se faire ouvrir les archives par le ministère de la Défense», raconte l'auteur, qui vient de publier un article sur ce sujet dans un ouvrage collectif, patronné par l'université de Harvard, aux Etats-Unis (1).

Les programmes français d'armes biologiques ont connu une histoire en dents de scie. S'étalant sur un demi-siècle (1921-1972), elle est marquée par une série de coups d'accélérateur et d'enlisements, jusqu'à l'arrêt des recherches après la signature par la France, en 1972, de la convention d'interdiction des armes biologiques.

Plusieurs sites. Contrairement aux Etats-Unis et à l'Union soviétique, la France n'a jamais produit d'armes de manière industrielle, et l'armée n'en a donc pas été équipée. En revanche, d'importants travaux de recherche et de développement ont été effectués sur plusieurs sites. Habilité au secret-défense, le chercheur n'a pas eu le droit de rendre publics les lieux où, après la Seconde Guerre mondiale, se sont déroulés les essais en milieu naturel. Mais, avant 1940, on en sait un peu plus.

De 1921 à 1940, des équipes françaises avaient déjà travaillé sur cette question, en collaboration ­ et c'est la première fois que c'est souligné ­ avec l'Institut Pasteur. Au début de 1940, des essais avaient ainsi eu lieu sur des bancs de sable de la baie de Somme. «La désinfection était assurée par les mouvements de la marée», raconte Olivier Lepick. En 1938, déjà, des expériences de dispersion d'une bactérie inoffensive (Bacillus prodigiosus) ont été menées secrètement dans le métro parisien, sur deux lignes : paradoxalement, «les résultats se révélèrent positifs sur la 7 (Porte-de-la-Villette­Porte-d'Italie) et négatifs sur la 1 (Pont-de-Neuilly­Vincennes)».

L'année 1947 a marqué «une reprise volontariste d'un programme à large spectre, qui comprend la mise au point de systèmes d'armes», constate Olivier Lepick. L'intérêt pour ce type d'armes est alors relancé par les documents saisis en Allemagne après la défaite des nazis. Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs laboratoires vont être impliqués dans les recherches : les laboratoires vétérinaires de l'armée de Tarbes (Hautes-Pyrénées) et Maisons-Alfort (Val-de-Marne), ceux du Service technique de l'armée à Aubervilliers (Seine Saint-Denis) et le Centre d'études du Bouchet à Vert-le-Petit (Essonne). Le programme français, placé sous la responsabilité du médecin général Costedoat, n'impliqua jamais plus d'une quinzaine de chercheurs, essentiellement des vétérinaires militaires. «Dans la phase initiale, les agents biologiques retenus furent la toxine botulinique, la ricine et l'anthrax», précise Olivier Lepick. Une campagne d'essais, conduite de 1948 à 1952, donne des résultats «mitigés», selon le médecin général Costedoat. Toutefois, «les essais ont permis de valider l'infection grave de plaies de guerre par utilisation d'engins contaminés, l'infection à porte d'entrée pulmonaire, ainsi que la création d'enzooties [épidémies animales] par dissémination de germes pathogènes».

Un rapport de 1954 sur les «orientations à donner aux recherches sur la guerre microbienne» précisait ce à quoi ces armes secrètes pourraient servir. Sur le champ de bataille, il s'agirait par exemple d'«augmenter la gravité des blessures et provoquer par voie de conséquence l'encombrement des hôpitaux». Au plan stratégique, les cibles auraient été «les zones sensibles militaires et civiles, camps d'instruction, bases maritimes, villes importantes, centres de ravitaillement, régions d'élevage et centres industriels». L'armée prévoyait alors de développer différents obus (105 mm, 120 mm, 155 mm), des bombes d'aviation de 250 et 50 kg, des mines bondissantes et des moyens d'épandage aériens.

Veille scientifique. Ces systèmes d'armes ne verront jamais le jour... grâce à l'arme nucléaire. En 1956, la France prend la décision de se doter de la bombe atomique. Immédiatement, ce choix provoque «une réduction drastique des crédits des programmes chimiques et biologiques». Une simple veille scientifique sera assurée jusqu'en 1962, lorsque est prise «la décision de relancer un vigoureux programme militaire biologique». La tension internationale est alors très forte, avec l'édification du mur de Berlin et la crise des missiles de Cuba. Les militaires français découvrent l'état d'avancement des programmes américain et russe. D'où la relance : pendant quelques mois, l'armée va développer un programme d'«incapacitants» à base d'entérotoxine staphylococcique et de Brucella arbotis. Il s'agit de rendre les soldats ennemis malades, pas de les tuer.

Mais, dès 1964, le programme «tombe en déshérence», là encore pour des raisons budgétaires. Ainsi, «la France abandonne progressivement le volet offensif de son programme et ne conserve que des activités strictement défensives», note Olivier Lepick. En 1972, la signature du traité de Washington d'interdiction des armes biologiques «ne fit qu'entériner juridiquement une décision implicite» d'abandon. Depuis lors, des recherches «défensives» se poursuivent au Centre d'études du Bouchet. Malgré les demandes répétées de Libération, le ministère de la Défense y refuse tout reportage. Comme s'il y avait encore quelque chose à cacher.

(1) Deadly Cultures. Biological Weapons since 1945, Harvard University Press.
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